DES COMORES À DUNKERQUE : ITINÉRAIRES DE NAVIGATEURS

LES PIEDS DANS LA FRANCE

Thierry Caron / Stéphane Doulé / Camille Millerand

Ce sont encore de jeunes hommes dans ces années d’après-guerre. Ils sont nés aux Comores, et les îles battent alors pavillon français. Ils ont souvent, comme chacun en France, l’espoir d’abandonner le travail des champs et d’avoir une vie meilleure. Peut-être plus encore qu’en métropole, il leur faut partir, quitter les routes en terre et les villages de campagne. Pour atteindre le béton et ses promesses de prospérité. Peut-être ont-ils entendu parler de Charleston ? Ce pionnier, le premier des navigateurs comoriens, s’est installé à Dunkerque en 1936. Leur chemin, comme pour lui sans doute, commence à Nossibé ou à Moroni, sur le quai. C’est le départ pour rejoindre un oncle à Madagascar, y poursuivre des études ou trouver du travail. Mais très vite Madagascar se révèle une impasse. Au mieux, une prolongation de la vie aux Comores.
                                            
À Tamatave, le port accueille cargos et navires des Messageries Maritimes, de la Compagnie Générale Transatlantique ou de la Havraise Péninsulaire. Ils y voient la passerelle vers la modernité, et les portes de l’Agence de recrutement grandes ouvertes, qu’une connaissance ou un cousin leur conseillent de franchir.  Alors avec leur certificat de vaccination et leur carnet de navigation encore vierges, et parfois la bénédiction d’un marabout, ils embarquent pour la première fois. Et commence là leur vie de navigateurs. Pendant quelques mois, ils cabotent autour de Madagascar pour certains, sur le baliseur Marius Moutet ou l’escorteur Lapérouse pour d’autres. Ils apprennent la vie à bord et attendent la place qui les mènera en métropole. Et le grand départ arrive. Ce premier long cours a souvent pour destination Marseille. Ils passent quelques jours sur place, ou quelques semaines. De là, certains prennent la route maritime vers Dunkerque, au gré des navires qui les embarquent. Et les navigateurs mettent pied à terre, pour une escale encore.  
Souvent engagés comme Agents du Service Général, ils oeuvrent en cuisine, occupés à nourrir les officiers. Lors des escales des navires en route pour la métropole ou ailleurs, ils prennent soin du linge des équipages. Parfois, ils restent à bord, interdits de débarquement par les autorités locales.     

À Dunkerque en revanche, ils logent Chez Simone ou dans des hôtels près des Chargeurs réunis. Les mieux lotis trouvent une place à Malo, dans un meublé, chez un camarade qui les a précédés. Il faut alors payer les loyers, et entre deux embarquements, chercher du travail à terre. Dans l’archipel de Dunkerque, de Petite Synthe à Grande Synthe ou jusqu’à Leffrinckouke, les usines des 30 Glorieuses ne manquent pas. Et la main d’oeuvre, immigrée ou non, est accueillie à bras ouverts. Il faut participer à l’épopée de cet acier qui va être la fierté de la ville et de la région. Chantiers de France, Usine des Dunes, Usinor, …

Ils trouvent quelques jours de travail, parfois une semaine, dans une usine, puis l’autre. Les travaux sont souvent pénibles. Et les navigateurs attendent le prochain embarquement, le carnet de navigation sous le bras, qui peut-être permettra de revoir la famille.

Ils partent et repartent encore. 3 mois, 6 mois, au Japon, en ex-U.R.S.S ou en Amérique. Au service de l’équipage, ils préparent les repas des officiers même dans les creux de 10 mètres, et attendent, marins, la prochaine escale. Et c’est le retour à Dunkerque, qui devient petit à petit leur port d’attache.

L’heure du mariage arrive enfin, choisie par les pères restés aux Comores. Et avec lui vient la nécessité pour les femmes de rejoindre leur mari. Les enfants naissent, et c’est définitivement se fixer et prendre sa place dans le paysage dunkerquois.                                                                                  

Alors les pères continuent à voyager au long cours, pendant parfois 25 ans, et nourrissent la famille. Les mères s’occupent des enfants, qui vont à l’école. Ils grandissent à Dunkerque, et ont l’accent du coin. Certains navigaterrent, à Lille, en Belgique ou ailleurs. Mais ils seront là Dimanche, ou le suivant, pour déjeuner avec leurs parents. À Dunkerque, leur ville d’attache.


 

"Fatigué pendant 3 mois sur le bateau, on ne voit pas la famille. C’est là que cela commence à choquer sur le coeur. On peut se disputer avec un autre, mais après... On trouvait des moyens, on s’arrangeait, chaque jour... On est marin, on est marin... On vit, on vit ensemble. On meurt, on meurt ensemble..."

" En 64, le 8 janvier 64 à 10 heures du matin, je suis arrivé à Dunkerque. Je travaillais au lycée. Je servais les élèves là-bas. Après ça, j’ai travaillé dans le port de Dunkerque comme docker. Je gardais les bateaux la nuit, jusqu’au matin. Après ça, je prends la marine. J’ai fait 28 ans à l’eau, 28 ans à l’eau."
 

"Je sais il part quel jour, il retourne quel jour. C’est tout. De temps en temps, il téléphone, c’est rare. Mon mari, il n’était pas le genre d’aller ailleurs pour téléphoner. C’est rare de téléphoner. Si un jour il téléphone franchement...Lui il était à fond dedans dans son boulot. Ce n’est pas qu’il ne pensait pas à nous, mais..."

"Je dis merci au Dieu que mes enfants ils font pas de navigation. Malgré tout, elle va venir la chance. Il y en a qui sont allés plus de 5 ans à l’école. Ils vont bien trouver une place.."

©  Thierry Caron, Stéphane Doulé et Camille Millerand - 2014 - Des Comores à Dunkerque, épisode 2 du projet les Pieds dans la France, avec la participation du Musée Portuaire de Dunkerque  - Les Pieds dans la France - Tous droits réservés -

DES COMORES À DUNKERQUE : ITINÉRAIRES DE NAVIGATEURS
  1. C’est l’histoire d’un départ et celle d’une arrivée.
  2. À bord, j'étais … 01:42
  3. C'est ton neveu ... 01:34
  4. Ces gens là ... 01:20
  5. On était obligé … 01:29
  6. Ports … 01:13
  7. Débarquer … 01:26
  8. 28 ans … 01:42
  9. On vit ensemble … 01:27
  10. Navigaterres … 03:04
  11. " Elle va venir la chance "
  12. Crédits