LAVELINE-DEVANT-BRUYÈRES
LES PIEDS DANS LA FRANCE
"M: Parce qu’il n’y a pas de boulot… Ici il n’y a plus rien ici. Ici à 50 km à la ronde tu ne trouves pas de boulot du tout. C’est un peu dommage mais ici il n’y a plus rien du tout. Les entreprises qui meurent comme cela, cela ne redonnera plus de boulot, je te dis au début du siècle 1000 ouvriers, en dernier, on s’est retrouvé à 30.
Mme : Et cela a fait beaucoup de mal, la destruction…
M: Y’en a qui se sont suicidés
Mme : Il y en a pas mal de suicidés.
M: Oui, pas mal de suicidés….
Mme : Et le bruit, hein, le bruit, c’est vrai que cela manque… C’est trop calme ici. Avant il y avait toujours du bruit mais maintenant, on entend plus rien… C’est comme cela.
Mme : Toujours le bruit des machines, pis les gens, tandis que maintenant, c’est un patelin… Pff…
M: Maintenant c’est un machin dortoir…
”
— M & Mme Durin. 12/04/2010
“Quand la filature tournait, Laveline, c’était une merveille. Ça marchait à plein pot. Quand la filature a commencé à licencier, ça a été la décadence. Je m’y suis installée en 1985. Il restait 300-400 ouvriers. Ça vivotait encore. Après, ça a commencé à déguerpir. Maintenant, c’est la débandade. Ici, on peut crever.”
— Sylvette. 09/09/2010
“Y 'a plus de boulot ici. Ma fille est licenciée. Mon gendre chez Novaker, c’est la cata. Ils sont sur la sellette. Y'a plus rien qui tourne ici, dans les Vosges. Ça a été destiné à faire une zone verte… Ils vont y arriver. On aura plus rien. On vivote. Pour finir, je préfére être à mon stade de vie que les jeunes. Ya plus d’avenir ici à Laveline. Y'a plus rien, y'a plus de boulot, c’est déglingué dans tous les coins.”
— Sylvette. 09/11/2011
“Petit à petit, et les métiers sont partis, ils sont partis dans le nord, petit à petit, de fil en aiguille quoi. Jusque quand le fil à craquer quoi...”
— Georgette. 20/03/2009
"Après, ça c'est calmé, ça dansait plus tous les soirs, ça s'est calmé. Mais tout de suite après la guerre, ils avaient été privé pendant plus de cinq ans, donc les gens avaient envie de s'amuser. Alors on dansait tous les soirs. C'était comme ça. C'était marrant...”
— Jean Lallemand. 28/05/2010
"Je ne sais même pas quel avenir je veux. Je veux déjà avoir un boulot, même si c’est gagner le smic, voilà... Même si c’est le smic, c’est toujours un boulot. On peut toujours vivre. Après c’est avoir un appartement, le permis, tout ça... C’est ce que je veux. Si je peux avoir un boulot plus haut, je le fais, mais bon, ça ne me dérange pas de travailler dans une scierie. Je ne vois pas pourquoi je me rabaisserais parce que je suis dans une scierie. Je gagne 1000 euros et voilà. Tant que je peux vivre, moi, ça ne me dérange pas.”
— Jany. 28/07/2010
"T'envoies des CV, ils ne te répondent pas les gens. J'en ai envoyé un récemment à Docelles, une papeterie. Pas de réponse. Il paraît qu'ils ne sont pas obligés de répondre. C'est dégueulasse. Tu te prends la tête à écrire puis t'as pas de réponse. Ça sert à rien.”
— Jacky Georgel. 25/07/2010
PARTIE 2
“Oh non! À l'époque en 67, on sortait d'une usine, on allait dans une autre. Il n'y avait pas de problème. Il n'y avait pas de Pôle Emploi ni de bazar comme ça. Les jeunes sont obligés de suivre, on ne leur demande pas leur avis. Je suis contente d'être vieille. Ah oui, parce que vivre une vie comme ils mènent”
— Monique. 05/11/2010
PARTIE 3
"Travailler, c'est quand même bien. Une fois qu'on a fini notre semaine, on est content d'être en week-end. Au moins, on a de la bonne fatigue. De la fatigue physique. Il y a une bonne ambiance au travail, c'est le principal.”
— David. 10/10/2010
"On est quand même une des communes qui payons le moins d’impôts du canton, donc les gens, ils regardent beaucoup quand il y a une maison à acheter. Ils font attention à ça aussi.”
— M Poirot. 26/05/2010
"Par un moment, ça a été un village de vieux. Mais ils disparaissent aussi les anciens. Il y a de la jeunesse qui commence à revenir. Les maisons se reconstruisent un peu au -dessus, là-haut. Ça commence un peu à bouger.”
— Gérard Georgel. 11/04/2010
PARTIE 4
22 AVRIL
Dimanche 29 mars 2015 à Laveline-Devant-Bruyères : le binôme du Front National termine en tête du second tour des élections départementales avec 107 voix. La liste d’Union de gauche du conseiller sortant, Christian Tarantola a obtenu 86 voix. Sur 475 personnes inscrites, 218 ont voté. Pendant deux jours, nous sommes allés à la rencontre de plusieurs habitants de l’ancienne cité ouvrière. Cela faisait 2 ans qu’on ne s’était pas vu. Ils nous ont donné leur point de vue sur la situation politique actuelle.
Nous nous sommes d'abord arrêtés à Docelles, 2 arrêts de TER avant Laveline-devant-Bruyères, pour rencontrer Nicolas Prévot et Christian Tarantola, le Maire. Ils se battent actuellement pour sauver la Papèterie de Docelles, plus vieille usine de France. Ce qu'ils redoutent pour leur commune est arrivé il y a quelques années déjà à Laveline-devant-Bruyères...
28 mars 2015. David (à gauche de l’image), 25 ans,refait un appartement qu’il vient d’acheter. Dans 6 mois, c’est sa maman qui sera locataire. « Ça lui coutera moins cher que d’habiter à Bruyères », dit-il. Cela fait plusieurs week-ends que Théo (au centre) et Kévin l’aident dans ses travaux de rénovation. David et Kévin ne sont pas allés voter dimanche dernier. « On s’en fout de la politique, on a d’autres chose à faire » m’expliquent-ils. Théo, lui, n’a pas encore l’âge de voter. © Camille Millerand
« Moi je m'en fous perso… Que ça soit la droite, la gauche, ça sera toujours la même merde. Je ne m’intéresse pas du tout à ça. J’ai d’autres choses à faire que d’aller voter. Moi je fais ma vie et puis eux, ils font la leur. On préfère ne rien voter que voter une connerie. Ma préoccupation principale, c’est de trouver un CDI… » Kévin
« Que ça soit le FN ou la gauche, je m’en fous complètement. La politique, on n’en parle pas entre nous. La plupart des jeunes ne sont pas allés voter. Ils ne sont pas au courant. T’as juste des pancartes en face des mairies, t’as juste 3 gugus dessus. Tu ne sais même pas ce qu’ils font… Dimanche : c’est repos et moto ». David
28 mars 2015. La friche industrielle n’est plus. Depuis 2013, plusieurs entreprises et artisans se sont installés sur une partie des 9 hectares qu’occupait la filature de la Vologne. L’espace est aussi doté d’un parking et d’une allée verte qui traverse Laveline-Devant-Bruyères et permet de rejoindre l’école. © Camille Millerand
28 mars 2015. Mélanie et son fils Matéo sont revenus à Laveline-Devant-Bruyères depuis 3 mois. Âgée de 26 ans, Mélanie souhaite reprendre une formation d’aide-soignante dans la région. En attendant, elle s’occupe de son fils de 4 ans et touche le R.S.A. © Camille Millerand
« Il y a eu 50 % d’abstention au premier tour. Beaucoup de personnes d’ici pensent que les élections départementales ne sont pas importantes. C’est bête de ne pas aller voter alors qu’on a le droit…Aux présidentielles, c’était le PS qui était passé en majorité et puis là, c’est le FN qui a gagné. C’est un peu bizarre! C’est vrai que le PS ne fait pas grand-chose, mais de là à passer carrément à l’extrême droite… Chacun ses opinions, mais je suis quand même choquée.… » Mélanie
28 mars 2015. Les parents de Mélanie : Gérard,retraité et sa femme Véronique aide à la personne. Elle sera licenciée le 16 mai prochain. © Camille Millerand
« Pourquoi le FN passe ? Parce que les gens sont mécontents. On attendait certainement mieux du P.S. que ça. Ça ne me surprend pas ! J’ai voté FN par dégout, c’est tout… Je ne l’ai pas refait au second tour. C’est pour leur donner une petite leçon. Vu la conjoncture, les gens sont paumés ». Véronique
« Le Front National... Qu’est ce que tu veux? Les emplois sont supprimés. Je suis dégouté de ce qui se passe. J’ai toujours été un gars de gauche. Je ne sais pas si c’est l’Europe... Et puis la France, ce n’est plus notre France. C’était quand même quelque chose. Après on dira « Gérard t’es raciste ». Tu as vu dans les crèches et autres, ils font des repas spéciaux… ». Gérard
28 mars 2015. La Filature de la Vologne a construit de nombreuses cités pour loger une partie de ses ouvriers. À la fermeture de l’usine, elles ont été proposées à la vente à leurs occupants. Elles sont le dernier témoignage architectural de l’activité industrielle du village. © Camille Millerand
28 mars 2015. Ahmed montre une photographie de lui à son arrivée en France quand il avait 23 ans. © Camille Millerand
« J’ai quitté le Maroc pour Armentières, dans le Nord de la France, à l’âge de 23 ans. En septembre 1968, l’entreprise Ecoma textile est venue me chercher à Mohammedia. En 1970, je suis arrivé à Laveline-Devant-Bruyères. J’ai travaillé 35 ans à la Filature de la Vologne en tant que soigneur sur machine continue. Ca fait 45 ans que je suis en France. Je vis comme les autres. Peu de gens du village prennent de mes nouvelles. Le jour où ça ne va plus, je prends mes valises et je pars » Ahmed
28 mars 2015. James est en apprentissage, CAP Paysagiste. Son ami attend d'avoir ses 18 ans pour pouvoir travailler. © Stéphane Doulé
« Pour trouver un contrat d’apprentissage, j’ai attendu 4 ans. Tout le monde galère à chercher du taffe ici. La solution, c’est d’avoir le permis. Sans le permis, on ne fait rien. Que ce soit pour le boulot ou pour s’amuser » James
28 mars 2015. Bernard © Camille Millerand
« Logique, les gens en ont ras le bol, trop de mauvaises foi de la gauche , de la droite. Les gens votent Front National.
C’est atroce, mais c’est comme ça. Je suis inquiet. Quand on voit les usines qui ferment, les jeunes qui n’ont pas de boulot.
Faut donner de l’emploi… » Bernard
29 mars 2015. Laveline-devant-Bruyères. Mr et Mme Robert © Stéphane Doulé
« C’est toujours une histoire de gros sous. Ça coute plus cher en France donc on délocalise ailleurs. Ils sont tous les mêmes. Mais il faut essayer. C’est pas d’aujourd’hui que je vote FN. De tout de façon, ce n’est pas un parti raciste. Ce qu’ils veulent faire c’est fermer les frontières. C’est tout! Je pense que le F.N. évitera de faire des ghettos… Enfin je l’espère. Ils seront obligés de faire du social. Je pense que tous les gaillards là (les politiques), ça va les faire réagir. » Bouboule
29 mars 2015. Mairie de Laveline-devant-Bruyères. Sortie de l'isoloir de Laveline-devant-bruyères. Il est 11H00, 65 personnes sur 418 sont déjà venus voter. © Stéphane Doulé
29 mars 2015. Laveline-devant-Bruyères. À deux pas du bureau de vote, 80 personnes dansent au café « Chez Christine ». © Stéphane Doulé
29 mars 2015. Mairie de Laveline-devant-Bruyères. Martin Hauden, 19 ans, étudiant en Master Histoire à Nancy. Parmi la dizaine de jeunes en âge de voter pour la première fois, seuls deux sont passés par l'isoloir. © Stéphane Doulé
29 mars 2015. Mairie Laveline-devant-Bruyères. 18h10. Le maire, Jean-Paul Fleurence, vide l'urne. Le dépouillement commence sous sa direction. © Stéphane Doulé
29 mars 2015. Mairie Laveline-devant-Bruyères. Le binôme du Front National obtient 107 voix dans le bureau de Laveline. La liste d’Union de gauche, Christian Tarantola et Bernadette Poirat, en obtient 86. © Stéphane Doulé
29 mars 2015. Docelles. Le binôme du Front National obtient 107 voix dans le bureau de Laveline. La liste d’Union de gauche, Christian Tarantola et Bernadette Poirat, en obtient 86.© Stéphane Doulé
«Drôle de campagne, je me suis retrouvé face à des gens qui ne sont pas du canton, qui sont vraiment extérieurs, on n’a aucune information sur eux. Ils font campagne au niveau national alors que nous avons fait campagne au niveau départemental. »
« Même avec un mandat qui peut paraître petit, un mandat de conseiller départemental maintenant, je vois quand même que ça permet d’ouvrir pas mal de portes. Portes que l’on n’aurait pas pu ouvrir autrement, je pense, à l’usine. Donc j’aimerais bien pouvoir continuer de me battre pour pouvoir conserver l’emploi ici. Revoir cette usine redémarrer. C’est certainement une des raisons profondes pour lesquels je repars.»
Christian Tarantola
29 mars 2015. Docelles. Nicolas Prévot, ex-responsable informatique de la papèterie UPM et président de l’association « Sauver la papeterie de Docelles », est un des porteurs du projet de reprise sous forme de Société coopérative ouvrière de production (Scop) " © Stéphane Doulé
« Ce projet de reprise, j'aimerais bien le voir aboutir, c'est un beau projet, un projet d'avenir pour le territoire. Une société qui fait un chiffre annuel de 100 millions d'euros, ça a des retombés financières énormes pour la vie locale"
Nicolas Prevost
29 mars 2015. Docelles. Nicolas Prevost : "C’est un crêve-cœur de voir ce stock vide. Normalement, on stocke ici deux semaines de produits finis. Normalement la production, c’est 450 tonnes par jour." © Stéphane Doulé